Le Corbusier et la cité Frugès à Pessac

Quelques habitations de la cité Frugès:

La cité Frugès, la cité des "Quartiers modernes":

Construction des "Quartiers modernes Frugès" 1924-1926
Construction des "Quartiers modernes Frugès" 1924-1926

A l'origine de la cité, la rencontre entre un industriel du sucre et un architecte inconnu:

(capture écran INA)
Henry Frugès réalisant la maquette de l'une des maisons de la cité en 1967
  • Henry Frugès (1879-1974), industriel du sucre, propriétaire de quatre usines à Bordeaux confie à Le Corbusier (1887-1965) et Pierre Jeanneret (1896-1967) la réalisation d'une cité ouvrière populaire à Pessac. La cité porte le nom du commanditaire et du financier de l'opération immobilière: l'industriel Frugès.
  • Pourquoi Frugès a-t-il confié ce travail à un architecte inconnu et sans diplôme? Henry Frugès est alors un patron atypique; amateur d'art, il désire offrir à ses employés des habitations confortables et modernes. Enthousiasmé par un article pulié en 1923 dans la revue L'Esprit nouveau signé Charles-Edouard Jeanneret dit Le Corbusier, il fit appel à celui-ci.

 

  • Le Corbusier est un architecte d'avant-garde qui veut créer une nouvelle architecture, une architecture moderne. Passionné par les nouveautés de son époque, l'automobile, l'aviation, le travail à la chaîne, Le Corbusier comprend que l'architecture doit être appréhendée de façon industrielle et non plus artisanale. Selon lui, l'alliance entre les moyens modernes de  l'industrie, des techniques (la fabrication en série grâce au travail à la chaîne, le béton) et une architecture moderne devrait permettre de résoudre la crise du logement au lendemain de la Première Guerre mondiale.

 

  • Frugès et Le Corbusier menèrent deux programmes immobiliers:
    • 1923- 1924: une cité ouvrière associée à l'une des scieries de Frugès à Lège- Cap Ferre
    • 1924- 1926: un projet plus important: les "quartiers modernes Frugès" à Pessac, dans la banlieue de Bordeaux. La cherté de l'opération immobilière accéléra la faillite de l'industriel Frugès.

 

photo NLL juillet 2012
dessin de JER dans la villa-témoin de la cité Frugès/ remarque: Le Corbusier portait toujours un noeud papillon et non une cravate.

Une commande privée qui permet à Le Corbusier de matérialiser et de tester ses théories:

  • Au début des années 1920, Le Corbusier est encore un "architecte de papier" même s'il a réalisé quelques ouvrages (notamment des maisons individuelles pour propriétaires aisés), ses idées, ses principes pour une nouvelle architecture restent théoriques. En lui disant, " Pessac doit être une laboratoire (...)", Henry Frugès permet à Le Corbusier d'appliquer, de concrétiser, de matérialiser ses théories.

 

  • Quelles étaient les théories de Le Corbusier dans les années 1920? Les voici résumées en trois étapes:
  • 1- la maison doit-être une "machine à habiter"  comme l'automobile est une machine à rouler, comme un fauteuil est une machine à s'assoir. Selon Le Corbusier, la maison est désormais à envisager comme un produit de consommation. Il faut donc "bâtir, standardiser, tayloriser" (Le Corbusier) c'est-à-dire appliquer les techniques industrielles de la construction automobile à l'architecture. Ainsi Le Corbusier conçoit-il des ossatures, de maisons susceptibles d'être élaborés en série. des  Dès 1914, Le Corbusier avait élaboré le système DOM-INO (du latin domus=maison et le début simplifié du mot innovation). Il s'agit d'une ossature standard élaborée en usine; apportée sur le chantier elle est dotée de dalles en béton et de volées d'escaliers. En 1919, la mainson MONOL pour les lotissements; en  1922, le prototype de la maison CITROHAN (pour Citroën nien sûr) est élaboré, conçue comme une maison en série. De nombreuses combinaisons sont possibles: pour les villas individuelles (villas La Roche- Jeanneret, 1923), pour les immeubles-villas, pour les logements collectifs (cité Frugès, Cité Radieuse à Marseille 1945). Ci-dessous, dessins et maquette de ces prototypes. 
  • 2- Le Corbusier commence à définir les caractéristiques générales de l'architecture nouvelle. Ces caractéristiques sont exposées en 1927, ce sont les cinq points fondamentaux: les pilotis, le plan libre, la façade libre, le toit terrasse, la fenêtre en bandeau.
  • 3-  Pour Le Corbusier, l'architecture permet aussi d'exprimer une philosophie sociale et politique:
    • "Mon devoir à moi, ma recherche, c'est d'essayer de mettre cet homme d'aujourd'hui hors du malheur, hors de la catastrophe, de le mettre dans le bonheur, dans la joie quotidienne de l'harmonie" (Le Corbusier). La "machine à habiter" autorise des constructions à bon marché, des programmes de logements sociaux. Le programme des Quartiers Modernes Frugès prévoyait ainsi l'accession à la propriété.
    • En 1923, Le Corbusier conclue ainsi son recueil d'articles Vers une architecture: " Architecture ou révolution (...). On peut éviter la révolution" grâce à la nouvelle architecture qui permet des logements économiques.

Un chantier difficile et une occupation tardive des habitations:

 

  • la réalisation des habitations à bon marché fut compliquée: difficultés d'utilisation du béton projeté, hostilité de certains habitants de Pessac. Sur 135 logements prévus, 50 furent construits.
  • la nouveauté des formes suscite ricanements et quolibets; les logements les plus élevés sont appelés "gratte- ciels", la cité est surnommée la "cité du Maroc" (à cause des toits terrasses), le "quartier du sultan" (Frugès?) et même le "rigolarium". La municipalité, selon Le Corbusier, ne montra guère d'ardeur à accélérer les procédures de mise en vente ou location. Les habitations ne furent occupées qu'à partir de 1929.
  • ci-dessous, des photographies de visite de chantier et de l'inauguration:

Dans un contexte historique complexe:

Rappel des principaux éléments permettant de caractériser le contexte historique de la construction des maisons et immeubles de la cité Frugès à Pessac entre 1924 et 1926:

  • Sur le plan économique, l'industrialisation connaît une accélération. Les usines produisent en série des objets standards. En 1913 aux Etats-Unis, une nouvelle technique de fabrication est mise en oeuvre dans les usines automobiles Ford à Detroit: le travail à la chaîne ou taylorisme.
  • conséquences de la Première Guerre mondiale:
    • agitations sociale et révolutionnaire à l'échelle de l'Europe
    • effervescence artistique: de nouveaux courants se développent dans la peinture, la sculpture, l'architecture; par exemple dans la jeune République de Weimar en Allemagne: l'école du Bauhaus.
    • accélération de la réflexion sur la nécessité de reloger les victimes des bombardements (la reconstruction).
  • en France, la pénurie de logements sociaux (c'est-à-dire d'habitations destinées aux classes populaires) est grave. Deux lois (1918 et 1919) en organisant le blocage de l'augmentation des loyers favorisent les locataires; elles entraînent deux conséquences négatives: les propriétaires n'entretiennent plus les logements; le secteur privé (banquiers, entrepreneurs, investisseurs immobiliers) ne construit plus de logements destinés à la location jugeant cette activité désormais peu rentable. L'Etat (c'est-à-dire le secteur public) n'influence guère le logement social; malgré une loi de 1912 qui lui en donne la possiblité, les pratiques dans ce domaine ressemblent à celles du XIXème siècle (domination des initiatives privées).

La cité Frugès aujourd'hui:

Bonheurs et malheurs depuis les années 1930:

  •  Les maisons ne furent occupées qu'à partir de 1929.
  • Des années 1930 jusqu' aux années 1970, les habitants transformèrent leur logement et firent ainsi disparaître des volumes, des formes géométriques élaborés par Le Corbusier. La cité se dégrade.
  • Depuis 1980, la cité Frugès est inscrite aux Monuments historiques; la municipalité de Pessac et certains de ses habitants s'efforcent de lui redonner son aspect d'origine. Aux côtés d'autres villes possédant un patrimoine "Le Corbusier", Pessac travaille à l'inscription de la cité Frugès au patrimoine mondial de l'UNESCO.

Aujourd'hui:

  • La cité Frugès a retrouvé ses couleurs. Les couleurs sont celles voulues par Le Corbusier. La polychromie (vert, bleu, blanc, terre de Sienne) est celle des peintres du Purisme, un courant pictural auquel Le Corbusier appartenait.
  • Les habitations se répartissent en six modèles différents:

Citations de Le Corbusier:

  • " La maison ne sera plus cette chose épaisse et qui prétend défier les siècles et qui est l'objet opulent par lequel se manifeste la richesse; elle sera un outil comme l'auto devient un outil." extrait d'un article publié en 1921 dans l' Esprit nouveau.

 

  • " Maison en série Citrohan (pour ne pas dire Citroën). Autrement dit, une maison comme une auto, conçue et agencée comme un omnibus ou une cabine de navire. (...) Il faut (nécessité actuelle: prix de revient) considérer la maison comme une machine à habiter ou comme un outil.(...) Jusqu'ici on faisait d'une maison un groupement de salles il y avait toujours de la place en trop et toujours de la place en pas assez. Aujourd'hui, heureusement, on n'a plus assez d'argent pour perpétuer ces usages et comme on ne peut pas construire dans les villes et une crise désastreuse s'ensuit (...). Il ne faut pas avoir honte d'habiter une maison sans comble pointu, de posséder des murs lisses comme des feuilles de tôle, des fenêtres semblables aux chassis des usines. Mais ce dont on peut être fier, c'est d'avoir une maison pratique comme sa machine à écrire." Légende des dessins de la maison Citrohan,revue L'Esprit nouveau,  n° 13, décembre 1921.

 

  • "Les matériaux de l'urbanisme sont le soleil, l'espace, les arbres, l'acier, le ciment dans cet ordre et dans cette hiérarchie".

 

  • "L'architecture est le jeu savant, correct et magnifique des volumes assemblés sous la lumière".

 

  • " Les formes primaires sont de belles formes car elles se lisent clairement."

 

  • " Là où naît l'ordre, naît le bien être"

Pour aller plus loin:

au CDI du collège:

 

sitographie:

  • la cité Frugès sur le site de la ville de Pessac
  • Le Corbusier et la cité Frugès sur le site de l'Erea-Lea de Pessac
  • le site de la fondation Le Corbusier, ICI et LA.
  • sur l'histoire du logement social en France, ce lien et celui-ci .

vidéos:

  • une interview d'Henry Frugès rélisée en 1967 lors d'un reportage de la télévision française sur la cité Frugès à Pessac :
  • une autre vidéo sur les Quartiers modernes Frugès filmés en 1965, cliquez ICI.
  • pour une vidéo qui illustre cette phrase de Le Corbusier: "L’architecture est le jeu, savant, correct et magnifique des volumes sous la lumière" dans la cité Frugès, c'est ICI.

 

  • pour un documentaire de 1957 d'un vingtaine de minutes sur Le Corbusier, l'architecte du bonheur (Le Corbusier interrogé et présentation de la cité Radieuse à Marseille), cliquez LA

Bibliographie:

  • COHEN Jean-Louis, Le Corbusier, éditions Taschen, 2008.
  • NIVET Soline, Le Corbusier et l'immauble-villas, Mardaga, 2011.
  • PINSON Daniel, Architecture et modernité, collection Dominos, Flammarion.
  • LOYER François, Histoire de l'architecture française, De la révolution à nos jours, Mengès-Editions du Patrimoine, 2006.